Agnès Flémal quitte WSL : "Un ingénieur est amoureux de sa tech. Il pense qu'elle va se vendre toute seule, comme des petits pains"
Article22 December 2024

Fin février, à l'occasion de la présentation du bilan annuel de WSL, nous avions demandé à Agnès Flémal si elle s'apprêtait à passer la main après plus de vingt années en tant que directrice générale. "Ce n'est pas encore à l'agenda, nous avait-elle répondu, tout sourire. Mais on en reparlera". Huit mois plus tard, Agnès Flémal a reçu La Libre pour faire part de sa décision de quitter la direction de WSL.

Lancé en 2000 par le gouvernement wallon de l'époque, WSL avait reçu la mission, en tant qu'incubateur technologique, de stimuler la création et la mise sur orbite de spin-off universitaires dans le secteur spatial. WSL – dont les initiales signifient "Wallonia Space Logistics" – a toutefois rapidement dévié de sa trajectoire. Avec l'arrivée à sa tête, dès 2002, d'Agnès Flémal, ingénieure civile de formation et cheffe d'entreprise durant plusieurs années, WSL s'est mis au service de projets entrepreneuriaux relevant des métiers de l'ingénieur (aérospatial, électronique, défense, santé, cleantech, etc.). D'incubateur, WSL va se transformer progressivement en support aux "techno-entrepreneurs".

"Les bases de la maison WSL sont saines et solides. C'était le bon moment de passer le relais et d'apporter du sang neuf." Agnès Flémal, directrice générale de WSL

"La décision de quitter la direction de WSL n'a pas été simple à prendre, ni à faire passer d'ailleurs, confesse Agnès Flémal. Mais il vaut mieux partir quand les circonstances sont bonnes. On va réaliser, en 2024, une nouvelle année exceptionnelle avec plus de 15 nouvelles sociétés accompagnées par WSL. Notre pipeline a doublé en trois ans. Depuis les débuts de WSL, on a accumulé une importante expertise et de très beaux succès. Les bases de la maison WSL sont donc saines et solides. C'était le bon moment de passer le relais et d'apporter du sang neuf". Son successeur est connu : il s'agit de David Dalla Vecchia, actuel CEO du groupe Aardex et ancien business coach au WSL (lire ci-dessous).

WSL n'est ni un incubateur, ni un accélérateur. Vous préférez parler de support aux techno-entrepreneurs. Pourquoi ?

Au fil du temps, on a enrichi la structure en prenant toute une série d'initiatives. Certaines ont été abandonnées, d'autres sont devenues permanentes. Nous avons été, par exemple, précurseurs en nous lançant, bien avant la guerre en Ukraine, dans le domaine de la défense. Aujourd'hui, WSL est devenu un acteur de référence dans le cadre des programmes "Diana" de l'Otan et "Major" de l'European Defence Fund. WSL est un processus continu d'apprentissage par essai-erreur avec, comme unique obsession, d'être au service des entreprises liées aux métiers de l'ingénieur.

Les ingénieurs et la tech font-ils bon ménage ? Et, si oui, font-ils de bons entrepreneurs ?

Non ! Il y a 20 ans, on avait des ingénieurs qui, dans leur grosse majorité, ne connaissaient rien à l'économie ni à l'entrepreneuriat. L'objectif de WSL a été justement d'aider les chercheurs et les diplômés des facultés d'ingénieurs en Fédération Wallonie-Bruxelles à devenir des entrepreneurs ou à leur faire comprendre qu'ils devaient s'associer à des entrepreneurs pour mener à bien leurs projets. Au début des années 2000, beaucoup d'ingénieurs et de docteurs en sciences avaient une image très négative de l'entrepreneuriat. Pour eux, trouver des clients pour leur spin-off relevait carrément de la prostitution ! Certains ont fait demi-tour quand ils découvraient les services de WSL. Mais nous avons maintenu le cap et les résultats nous ont donné raison puisque, sur les 200 projets que nous avons accompagnés en un peu plus de vingt ans, seuls 7 % n'ont pas été convertis en entreprises. Les spin-off et start-up accompagnées par les business coachs de WSL ont permis de générer un chiffre d'affaires cumulé dépassant 1,5 milliard d'euros et de créer près de 1 800 emplois directs. Sur les cinq dernières années, on a calculé que chaque euro investi par la Région wallonne dans WSL a généré 5 euros de valeur ajoutée en Wallonie.

Vous avez souvent répété, ces dernières années, que les start-up devaient avoir l'obsession de la vente.

L'ingénieur est généralement amoureux de sa tech. Il pense qu'elle va se vendre toute seule, comme des petits pains. Il ne pense pas une seconde à la complexité du processus de vente, à la manière de concrétiser des "leads" (marques d'intérêt) en bons de commande. On a créé un outil, "MatMax", qui mesure le niveau de maturité technique et commercial d'un projet entrepreneurial innovant. Cela nous a aidés à marteler, auprès des techno-entrepreneurs, l'importance qu'ils doivent accorder à la vente. En 2023, on a accompagné une petite septantaine d'entreprises technologiques qui, tout en étant encore en phase d'incubation ou d'accélération, faisaient 30 millions d'euros de chiffre d'affaires et employaient 400 ETP. Il y a 10 ans, je peux vous assurer qu'on n'avait pas de tels résultats.

Quelles sont les plus belles réussites, à vos yeux ?

IsoHemp en est une. C'est un projet lancé par deux jeunes à la sortie de leurs études. On les a aidés à développer un premier prototype et, aujourd'hui, ils sont leaders dans leur secteur (production de blocs chaux-chanvre, naturels et performants, pour l'isolation intérieure et extérieure des bâtiments, NdlR). Il y a Lambda-X, ancienne spin-off de l'ULB qui est devenue leader mondial dans le contrôle qualité des lentilles intra-oculaires. Je pourrais vous citer encore beaucoup d'exemples.

On fustige souvent la trop petite taille des entreprises wallonnes et leur manque d'ambition à l'international. Est-ce toujours le cas ?

WSL a toujours visé l'international grâce à une collaboration étroite avec l'Awex. Le précédent gouvernement wallon a lancé le programme Scale-up (piloté aujourd'hui par Wallonie Entreprendre, NdlR) afin de proposer un accompagnement sur mesure aux entreprises à fort potentiel de croissance. Mais cela reste difficile. La croissance et l'internationalisation dépendent très fort du fondateur et de sa volonté à s'impliquer. Jusqu'ici, on ne peut pas dire que les résultats du programme Scale-up sont très concluants.

"Selon moi, il faudrait même repartir d'une page blanche. Il faut regarder de quoi le tissu économique wallon a besoin, aujourd'hui, pour progresser plus vite et, en fonction de cela, déterminer qui peut y contribuer et comment." Agnès Flémal

Le paysage des outils économiques wallons, dont WSL fait partie, reste-t-il trop complexe ? Faut-il le simplifier ? Vous ne trouverez personne qui vous dira qu'il ne faut pas simplifier. Selon moi, il faudrait même repartir d'une page blanche. Il faut regarder de quoi le tissu économique wallon a besoin, aujourd'hui, pour progresser plus vite et, en fonction de cela, déterminer qui peut y contribuer et comment.

Vous annoncez votre départ dans un contexte où les start-up éprouvent de grosses difficultés à lever des fonds. En début d'année, vous aviez alerté du risque de voir certaines devoir mettre la clé sous le paillasson, ce qui a été le cas (Osimis, HeartKinetics, Cytomine, etc.).

Ce problème du financement des jeunes sociétés technologiques innovantes n'est pas résolu. Il est même devenu plus aigu. Selon moi, les fonds publics ne jouent pas toujours leur rôle.

Malgré des missions de plus en plus nombreuses, WSL fonctionne avec peu de moyens : une équipe de 15 personnes et un budget de fonctionnement de 1,8 million d'euros. Vous n'avez jamais semblé le regretter…

"J'ai toujours été une adepte des petites équipes agiles, réactives, frugales, mais très pointues en termes d'expertises. WSL tient surtout à son indépendance. C'est elle qui permet de rester concentré sur notre mission, qui est de répondre aux besoins des entreprises en étant pertinent et offensif, pour reprendre les mots prononcés par Willy Borsus alors qu'il était ministre wallon de l'Économie.

David Dalla Vecchia reprend le flambeau

David Dalla Vecchia, le nouveau CEO de WSL. ©WSL

C'est David Dalla Vecchia qui, après une procédure de sélection rigoureuse, a été choisi comme nouveau CEO de WSL. Ingénieur et multi-entrepreneur, il possède une vaste expérience dans le secteur des technologies, et notamment dans les medtechs. Il est le CEO, depuis 2018, de la société Aardex, leader mondial dans les solutions de mesure et de gestion de la conformité des traitements médicamenteux pour les essais cliniques, les centres de recherche et les systèmes de santé professionnels. Ingénieur en électricité et électronique de l'Université de Liège, il avait fondé une première entreprise en 2003, RFIDea, qui a été rachetée par le groupe belge Zetes quelques années plus tard. David Dalla Vecchia a aussi exercé, par le passé, la fonction de business coach au sein de WSL. "Il correspondait au profil recherché : ingénieur, multi-entrepreneur (avec des succès et des échecs) et connaissant bien le métier d'accompagnement d'entrepreneurs de la tech", se réjouit Agnès Flémal. Le passage de témoin aura lieu d'ici au printemps.

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